Pour commencer... «Dis, maman … » Je ne sais
Pour commencer...
«Dis, maman … » Je ne sais combien de fois vous avez prononcé ces deux mots, avec toutes les suites possibles et imaginables, qui allaient de la simple tentative de localisation de la poupée préférée aux grands questionnements concernant la marche du monde. Depuis que vous avez su aligner quelques mots de façon ordonnée et compréhensible, beaucoup de vos phrases ont commencé ainsi. Et le dialogue s’engageait, parfois très bref car ne nécessitant pas de réponse complexe :«Dis, maman, c’est bientôt Noël ? » Mais donnant également lieu à des réflexions qui nous entraînaient dans de plus longs échanges : «Dis, maman, c’est quoi la beauté intérieure ? » Alors, toutes affaires cessantes, nous parlions de la beauté - celle du monde et celle des sentiments - de son importance mais également des pièges dans lesquelles elle enferme, de ses interprétations si diverses…
Ces échanges m’amusaient beaucoup. De petits oisillons prêts à gober toute la nourriture que je pouvais vous apporter, vous êtes devenus petit à petit « indépendants » de mes pensées, analysant, décortiquant, critiquant, n’hésitant pas exposer vos idées de façon péremptoire, à remettre en question les miennes, ébranlant mes certitudes avec la souveraine indifférence de l’adolescence, pour parfois y revenir plus tard avec enthousiasme…
Ce sont tous ces petits dialogues et les réflexions qui en découlent que je vais reprendre ici. J’imagine qu’ils sont semblables à tant d’autres entamés dans toutes les familles du monde. Mais ceux-là me sont infiniment précieux, parce que c’était vous, parce que c’était moi. Et parce que je sais désormais qu’ils étaient la traduction d’une sensibilité au monde qui n’appartient qu’à vous et à laquelle médecins et chercheurs s’intéressent de plus en plus. De cette population longtemps « souterraine » émerge de façon de plus en plus visible nombre d’individus de tous âges. Hélas, les médias se ruent sur les plus atypiques, j’ai nommé Rain Man and Co, aux capacités étonnantes dans certains domaines mais tellement dénués d’autre part de ce qui semble être l’essence intime de monsieur et madame Toulemonde que la société préfère les savoir en institut. Monstres de cirque modernes livrées à la curiosité humaine, ils sont hélas devenus l’image d’Epinal des autistes porteurs du syndrome d'Asperger, celle qui fascine et effraie tout à la fois.
Mais l’autisme et le syndrome d’Asperger ne sont pas que cela. Il y a autant d’expressions de l’autisme qu’il y a d’autistes. Cela doit bien faire quelques millions d’individus de par le monde. Certains ont des comportements qui les rendent facilement «repérables» mais tous les autres ? Ceux qui ont compris, à force de remarques culpabilisantes, qu’on attendait d’eux qu’ils se comportent « normalement » et qui du coup se sont efforcés à une sur-adaptation permanente efficace mais ô combien douloureuse et génératrice de mésestime de soi ? Tout ceci n’est ni très originale ni très nouveau, j’en suis consciente. Le côté sombre de l’autisme et du syndrome d’Asperger, celui qui entraîne parents et enfants dans une tourmente dont il est difficile de sortir indemne, a déjà été traité de mille et une manières par le biais de témoignages, livres,études scientifiques, conférences, etc.
Alors… ?
Alors, je crois qu’il est grand temps de parler également de la face lumineuse de l’autisme et du syndrome d’Asperger et de toute sa richesse potentielle pour l’humanité. J'ose car, après tout, le bilan actuel après des millénaires de présence humaine sur notre belle planète n’est pas de ceux dont on peut se vanter : état atmosphérique déplorable, disparitions d’espèces animales et végétales directement liées aux activités humaines, conflits sanglants, disparités scandaleuses des ressources, etc. La liste est sans fin et tendrait au zéro pointé.
Tendrait… car çà et là surgissent des "Asperger" supposés ou avérés : W. Mozart, L. de Vinci, M. Curie, A. Einstein, B. Gates, I. Newton, G. Gould, T. Grandin, dont l’œuvre bénéficie à l’ensemble de la planète. Mais ce serait également bêtise que de se focaliser uniquement sur ces génies, plus présentables il est vrai que ceux cités plus hauts. A leurs côtés, il y a l’immense cohorte de tous ceux et celles qui, quelle que soit leur place sur le continuum autistique, ont leur pierre – que je n’hésiterais pas à qualifier de précieuse - à apporter à l’édification d’un monde meilleur.
Et au milieu de cette multitude, il y a vous trois. Les pages qui suivront raconteront votre histoire…
